Master Classe de Rina Sherman

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MASTER CLASSES, AUDITORIUM DE L’ÉCOLE DE HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES,

17 novembre 2012 de 10h à 13h.


Rencontre avec l’écrivaine, anthropologue et cinéaste Rina Sherman animée par Frédéric Baleine du Laurens, Directeur des archives du ministère des Affaires étrangères et ancien ambassadeur de France en Namibie et au Botswana et Ody Roos, producteur.
 
« Les Ovahimba ont pris sept ans pour m’apprendre à les aimer et, à finalement, une fois pour toutes, évincer ces idées de Noirs/Blancs, m’en libérer, et me permettre de voir n’importe qui comme un autre soi possible. » ( Rina Sherman )
 
♦ Interview de Rina Sherman par le Comité du film ethnographique 
 Biographie et filmographie 
 
Rina Sherman et Jean Rouch sur le tournage de M. M. les locataires, salle des mariages, Noisy-le-Sec, 1995
 
♦ Interview de Rina Sherman par le Comité du film ethnographique 
 
CFE – Tu passes de l’interprétation théâtrale à l’écriture de roman puis au cinéma est-ce une nécessité pour exprimer différemment le monde qui t’entoure ? Se complètent-ils ?
Rina Sherman – C’est un tout, pour commencer, il y avait dès l’entrée à l’école, la musique avec des profs « européens », pour la plupart rescapés d’une Europe en ébullition. Peu de temps après ont commencé des cours de peinture, donc l’image créée, inventée, puis l’écriture par le biais de l’Anglais. — Qui a deux maisons, perd sa raison, qui en a trois, voire quatre, la regagne.
Chaque idée donne lieu à sa propre forme d’expression, lesquelles formes peuvent se retrouver, par exemple, le cas du film L’œuf sans coquille. Un poème, Un coq est une femme, écrit en 1983 et devenu le libretto pour le film-opéra, autour d’une expression de fétichisme du poulet qui a duré de 1982 à 1986 environ (Chicken Movie. Cluck !). Jean Rouch a d’ailleurs donné une explication à ce fétichisme lors du tournage de L’œuf sans coquille : en voyant une racine de chêne protubérante dans l’ancienne cour des aliénés de l’hôpital du Kremlin Bicêtre, il a rassemblé l’équipe pour leur dire : « Voilà ce qui explique le fétichisme du poulet de Rina, cette racine qui ressemble à un clitoris, et en même temps à la crête du coq, c’est lié à une manque d’affection. » Allez comprendre !
 
CFE – Ton parcours de cinéaste navigue entre fiction et documentaire, l’un et l’autre représentent-ils une différence dans ta manière de t’exprimer par le film ou sont-ils intimement liés ?
Rina Sherman — La première expression au cinéma est liée à l’activité de performance art pratique dans le cadre de Possession Arts, groupe de performance art dont j’ai été membre fondateur en 1982. Il s’agit d’un rapport plastique à l’image et d’une conception de tableaux mouvant de narration non linéaire, avant tout expressionniste. Nous étions des rebelles sans cause, critique, mais non-engagés dans la lutte pour la liberté de la majorité des Sud-africains. C’est à cette époque, que j’ai pris par hasard un livre mal rangé (dans la section art dramatique) sur le Cinéma direct. Du cinéma documentaire et de Jean Rouch, je ne savais strictement rien ; je suis tombée sur une citation de Jean Rouch qui disait quelque chose comme : « Il m’est plus intéressant de filmer la réalité tel qu’elle est provoquée par la caméra (et ma présence) que de prétendre pouvoir la filmer tel quelle. » La lecture de cette phrase a bouleversé mon esprit à jamais. La réalité n’existait pas ; il n’y avait donc que le point de vue, ce que l’on inclut et que l’on exclut. A partir, de ce moment-là, plus rien n’allez être pareil. Depuis cette époque, il y a une lutte entre l’image plastique et improvisée et l’expression du réel, et une recherche de l’image idéale, celle qui exprime les deux à la fois ; broder à partir de la réalité.
 
CFE  – Le cinéma est-il le moyen d’aller à la rencontre des hommes et des femmes que tu n’as pas pu côtoyer pendant ton enfance sud-africaine? Je pense à ta longue expérience chez les Ovahimba.
Rina Sherman — Je regrette terriblement de ne pas avoir pu enfant apprendre de langue bantoue, khoi ou san. Mais les voix de chants d’africains — chants transformés par l’arrivée de la foi Chrétienne en Afrique, des gammes de la musique liturgique occidentale — qui s’étire la nuit dans le veld ont ponctué mon enfance et font parti de mon langage et de mon univers. En dépit de leur racisme et leur paternalisme, je n’ai jamais entendu mes parents dire un mot de travers au personnel de maison. Le mot d’ordre était respect. A la fin de leur vie, mes deux parents m’ont dit que l’Afrique du Sud de l’Apartheid était un leurre. Quand je suis arrivée à Paris, j’écoutais avec émerveillement les histoires que Jean Rouch et Germaine Dieterlen rapportaient du terrain. Je rêvais comme d’autres, d’avoir « un terrain ». Seulement, pour les Parisiens, j’étais « du terrain », en visite et qui allait bien finir par rentrer et laisser rentrer les choses dans l’ordre. J’avais donc quelque mal à imposer l’idée de mon terrain ! Mais, il y avait une certaine logique à l’idée d’un terrain en Afrique Australe. Mon séjour au pays Ovahimba — au départ prévu pour six mois et qui s’est étendu sur sept années — était néanmoins un retour marginal. Ce fut une période de profonde transformation, car les Ovahimba, vu leur éloignement géographique (nord-ouest namibien et sud-ouest angolais) n’ont jamais était totalement soumis aux régimes coloniales allemand, portugais, anglais ou sud-africain. Dans leur langue, l’Otjiherero, que j’ai apprise, il n’y a pas de mot pour dire « un noir », mais seulement un mot pour « une personne » ou pour « des gens ». C’était libératoire de vivre avec ces gens, l’ancienne aristocratie d’Afrique, qui n’étaient en rien complexés par rapport à moi ou qui ne m’en voulaient pas pour le fait de ma naissance. Apprendre leur langue, leur manière de penser, leur façon de rire, étaient l’expérience la plus radicale de ma vie, une expérience qui marque mon appréhension et ma perception des choses à chaque instant.

♦ Biographie et filmographie 
 
Née en Afrique du Sud, Rina Sherman fut contrainte, en 1984, de s’exiler de son pays pour la France. Musicienne classique de formation, elle travaille comme actrice de théâtre indépendante et à la télévision avant de se tourner vers le cinéma. En 1990, elle achève son doctorat à la Sorbonne, sous la direction de Jean Rouch. Elle est commissaire audiovisuel pour l’exposition, en 1995, à La Villette, « Afrique du Sud : musiques de liberté ». Son premier roman, Uitreis, (Partance), publié en Afrique du Sud en 1997, a été salué par la critique. La même année, elle est lauréate de la bourse Lavoisier du ministère des Affaires étrangères pour le projet « Les années Ovahimba », un programme de recherche multidisciplinaire à long terme (dessins, tradition orale, vidéo, cinéma, photographie) destiné à constituer une trace vivante du patrimoine culturel des Ovahimba.
En 2003, grâce à l’extension de ses recherches dans le sud-ouest de l’Angola, elle a pu donner une vision plus complète du patrimoine culturel et de la tradition orale Otjiherero. Actuellement, elle poursuit le traitement des résultats de ses recherches, par le montage de films et la rédaction d’articles et de livres.
L’oeuf sans coquille, la diva, Thierry du Bost, entouré de deux moines, Réservoir de l’hôpital du Kremlin Bicêtre, 1992 / Que la dance continue, jeu de danse d’ondjongo, Etanga, 2002 / Quand les invités arrivent, Vuaanderua écoute un paysage sonore composé de sons de sa vie quotidienneCentre culturel Franco-namibien, Windhoek, 2002.
 
Filmographie
 
Eugene Jardin, Portrait of a sculptor 1983 ;
Chicken Movie. Cluck! 1984 ;
EKhaya retrouvée, pays d’ombres 1990 /92 ;
L’œuf sans coquille 1992 ;
Bantu Education 1994 ;
M. M. les locataires 1995 ;
Welcome 1995 ;
Walahi-Wo! 1995/97 ;
This is my Regular Album 1996 ;
Urban Dance Southern Africa 1996 ;
Voyage, Voyage – La Namibie 1997 ;
Kurakurisa Ouruvi 2000 ;
Ovaryange Tji Veya 2006 ;
Keep the Dance Alive 2008 ;
Paris de mes exils 2009 ;
Andres Sarrano – I take Pictures  2010 ;
Akayzwe & Urugangazi – Dance & Percussions from Burundi and Rwanda 2011 ;
Zelda Kaplan – A Need for Renewal 2011 ;
Jean Tabet Une lueur d’espoir 2011 ;
I. Essuyer les larmes 2012 ;
Rhoda Scott Music is Like Breathing 2012 ;
In the Outskirts of Venice 2012 ;
Michel Brault Le cinéma c’est ce qu’on veut 2012 ;
Albert Sasson Un itinéraire singulier 2012 ;
Claude Levy-Soussan Tout le monde a une chance 2012 ;
Bernard du Boucheron Mes livres sont des lieux 2012.