DIONYSOS ET LE DÉSORDRE FERTILE
vendredi 10 novembre 2017 14:30 - 19:00

Si le cinéma de Jean Rouch n’a pas « changé la vie » comme le souhaitait le poète Arthur Rimbaud, il a « changé la vue » sur les Africains et les Français de son époque, suivant en cela l’injonction d’André Breton de mettre en circulation des objets inquiétants, créateurs de désordre fertile… Si un film remplit toutes ces conditions, voire au-delà, c’est bien Dionysos. Ce ciné-portrait du dieu unique et inclassable, aux dialogues inspirés par les textes « inoubliables » d’Euripide, de Hegel, de Nietzsche, de Rimbaud, d’Apollinaire, de De Chirico et de Breton, est, d’après Gilles Deleuze, une grande synthèse de Rouch, et, pour l’assistante de réalisation Paule Sengissen, « l’aboutissement d’une recherche, celle de sa vie de cinéaste ».

 

Une fiction, soit, mais tournée comme un documentaire ethnographique, mêlant inextricablement réel et imaginaire, passé et présent, cinéma et anthropologie, philosophie et mythologie, qui surprend, déboussole, interroge. Qu’a voulu réaliser Jean Rouch ? Une audacieuse expérience collective d’improvisation au cinéma, qui est aussi une aventure singulière, pour laquelle chacun joue son propre rôle dans la vie : professeur, anthropologue, danseur, musicien, ingénieur… Seuls les ouvriers ne le sont pas. Devant la caméra, hommes et femmes de tous âges et de toutes cultures, ou presque, interprètent « un reportage sur le rêve » de la nécessité du culte de la nature dans les sociétés industrielles, qui, en reliant le mythe antique de Dionysos aux rites contemporains de possession africains, dénonce l’hégémonie du cartésianisme, du technicisme, et le règne du spleen de l’Occident. Film utopique et de réconciliation, utile et nécessaire, rendu possible, comme l’écrit Rouch, « par la fête de mai 1968, par la connaissance plus profonde des grands rituels africains, par les récentes découvertes du “cinéma direct” », Dionysos est en effet un ciné-plaisir, non pas de joie, ni de rire permanent, mais diablement enjoué. Une « cinématographie du “gai savoir” », qui conteste les rumeurs de la ville, la mort du « grand Pan », sèche les larmes des hommes dénaturés, transforme des ouvriers aliénés en des aventuriers du bonheur, et laisse transparaître une voie à suivre pour une révolution heureuse.

 

Tout au long de cet après-midi, sous le signe de ce Maître fou, nous reviendrons sur la genèse, la réalisation et la réception de Dionysos, en compagnie d’acteurs et de participants au film. De même, à cette séance, sera projeté pour la première fois Dionysos, la fin d’un tournage d’Éric Darmon, qui nous a fait le plaisir et l’amitié, pour cette occasion, de monter ses images réalisées en 1984 sur les derniers moments de l’aventure dionysiaque de Jean Rouch.

 

Laurent Pellé

Délégué général du Festival

Dionysos, Jean Rouch entouré de ses acteurs. ©Françoise Foucault

Programme établi par Éric Darmon (producteur et cinéaste), Françoise Foucault (Comité du film ethnographique), Alice Leroy (enseignant chercheur en études visuelles) et Laurent Pellé (délégué général du Festival international Jean Rouch).