Jean Rouch > Jean Rouch, photographe

Une collection Jean Rouch au Musée de l’Homme

Christine Barthe

L’entrée du fonds Jean Rouch au musée de l’Homme ne peut passer inaperçue étant donné le volume qu’il représente : elle devient la plus importante collection donnée à la photothèque. Il est aussi celui qui se déroule sur le plus long temps : les premières photographies (1945) nous montrent la ville de Berlin en ruine, tandis que les plus récentes témoignent de la participation de Jean Rouch à la plupart des festivals de cinéma ces dernières années. De très nombreux aspects de son parcours sont représentés : début de carrière aux Ponts et Chaussées, conversion à l’ethnographie, films, missions, le plus souvent entremêlés les uns aux autres. Le premier bénéfice attendu d’un tel don est de pouvoir suivre pas à pas Jean Rouch tout au long de ses voyages et de ses travaux.
Mais l’arrivée de ce fonds signifie également beaucoup en terme de contenu, par rapport à l’ensemble de la photothèque. Elle permet à la collection de s’ouvrir à des images nouvelles, en échappant à l’iconographie traditionaliste de  » l’Afrique éternelle « . Dans les images de Jean Rouch abondent les vues de ville, de chantiers de construction. Nous y voyons des industries, des mouvements, des migrations qui ne sont pas toujours des exodes. Le caractère très contemporain de l’ensemble nous permet de situer ces photographies dans une histoire africaine et européenne, dans une histoire de l’image en Afrique. Très simplement et très directement, elles nous font percevoir à quel point l’Afrique de 1950 n’est pas la même que celle de 1930. Cet aspect est sans doute l’un des points forts de cet ensemble, tout comme la véritable profusion de la collection qui frappe et séduit d’emblée, dès que l’on se plonge dans les planches-contacts.
Toute archive d’un créateur fascine par la possibilité d’y voir le travail en train de se faire. À ce titre, les photographies de repérage des films ne déçoivent pas l’attente. Films aboutis ou restés à l’état de projet, ils sont la partie cachée de l’iceberg, celle qui atteste du réel travail de préparation qui précède et permet l’improvisation, la spontanéité, le dilettantisme affiché. Si l’on y retrouve bien le goût de Jean Rouch pour la fantaisie, le mouvement, la blague, si les photographies témoignent justement de l’éclectisme et de la curiosité de leur auteur, elles montrent aussi, de façon moins prévisible, l’organisateur : celui qui multiplie les prises de vue avant le tournage, afin de se familiariser avec la cérémonie, celui qui photographie encore lors du tournage afin d’avoir des images  » en réserve  » à intercaler en cas de problème au montage.
Cette image de Jean Rouch sagement assis à sa table de travail, en train de coller les contacts de ses prises de vue, est une image rare. Elle nous montre le travail en deux étapes du photographe : la prise de vue, qui est chez Jean Rouch abondante, puis la sélection, l’organisation des images entre elles, le montage. On y voit littéralement le photographe comme le faiseur et le manipulateur d’images : il est celui qui en organise le discours, quitte à ne pas respecter la chronologie des prises de vue. En ce sens, cette image peu courante, moins spectaculaire que celle du photographe brandissant son appareil, est finalement assez indiscrète dans sa façon de nous dévoiler une part souvent cachée de l’élaboration d’un travail en photographie.
Elle ne pouvait être due qu’à un autre photographe, suffisamment familier avec son sujet comme avec l’activité de celui-ci : la photographie est attribuée à Jane Rouch.


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