Cette programmation s’inscrit dans le cadre du partenariat entre le département du Pilotage de la recherche et de la politique scientifique, du ministère de la Culture et de la Communication, et le Comité du film ethnographique, afin de promouvoir le patrimoine cinématographique ethnologique. Le Festival remercie très chaleureusement les Archives françaises du film (CNC), le CNRS Images, Capi films, Les Films de l’équinoxe et Les Films du jeudi pour avoir mis gracieusement à sa disposition les copies projetées.
Programme établi par Jean-Paul Colleyn (directeur d’études à l’EHESS, cinéaste et anthropologue), Léila Dhaou (assistante programmatrice au CFE) et Laurent Pellé (délégué général du Festival international Jean Rouch).
C’est par une question que Jean Rouch débute l’article (1) qu’il rédige en forme de manifeste, suite à la tenue, en 1955 au musée de l’Homme, de la première Semaine internationale du Film d’ethnographie (2), organisée à l’occasion de la Biennale de la photo et du cinéma de Paris. « Quels sont ces films ? » Et tout de go il écrit : « Je n’en sais rien encore », propos qui laisse le lecteur sur sa faim. Le film ethnographique existait-il à cette époque ? Les prémices d’une réponse seront avancées après une série de critiques virulentes à l’égard du cinéma commercial français, qualifié de « faillite » et de « super-napoléonades ». L’avenir du septième art réside, selon Jean Rouch, dans « des productions minuscules, si maladroites qu’elles n’osent se montrer ». À la manière des biographies romantiques d’artistes du XIXe siècle, il décrit les futurs réalisateurs munis de matériel amateur (caméra 16 mm) acquis au marché aux puces, ayant appris le cinématographe à la Cinémathèque et ayant pour exigence la sincérité. Puis il déclare qu’entre les mains d’autodidactes « quelques caméras redeviennent ce qu’elles n’auraient jamais dû cesser d’être, les stylographes d’Astruc ». (3). Ensuite il établit un lien entre le cinéaste et l’ethnographe, en référence à sa propre expérience, par les arguments suivants : « Entre filmer les hommes et les observer, il n’y a au fond qu’une petite différence de moyens : le découpage et l’enquête préliminaire, le tournage et l’observation, le montage et la rédaction ultérieure sont les trois phases essentielles du travail du cinéaste et de l’ethnographe ». La conclusion « rouchienne » ne se fait pas attendre, « il suffisait en somme que l’outil du cinéaste puisse être mis entre toutes les mains pour que l’ethnographe ait le désir de s’en servir ». Par l’évolution technique du matériel de filmage et de sa fabrication en série, à la fin des années 1940, un certain nombre de conditions étaient réunies pour le développement du film ethnographique et l’éclosion d’un nouveau genre cinématographique. Restait à convaincre les ethnologues à passer derrière la caméra…
La rétrospective proposée permettra de découvrir ou de revoir des films qui ont marqué les débuts du cinéma ethnographique. Chaque séance sera l’occasion lors d’un débat, en présence d’anthropologues, de cinéastes, d’historiens et de critiques, de discuter de la place du film ethnographique dans l’histoire du cinéma en général, des conditions de sa reconnaissance dans les milieux cinématographiques et anthropologiques, et de sa réception par le public et la cinéphilie.
Laurent Pellé
1) Jean Rouch, À propos de films ethnographiques , Positif, n° 14-15, novembre 1955, pp. 145-149.
2) La Semaine internationale du Film d’ethnographie s’est tenue du 9 au 14 mai 1955 dans la salle de cinéma du musée de l’Homme.
3) Le cinéma est, pour Alexandre Astruc, « un langage, c’est-à-dire une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions exactement comme il en est aujourd’hui de l’essai ou du roman. C’est pourquoi j’appelle ce nouvel âge du cinéma celui de la Caméra stylo ». Naissance d’une nouvelle avant-garde, L’Ecran français, n°144, 30 mars 1948