Les Regards comparés 2017 sont déjà la cinquième édition que l’Inalco co-organise et accueille avec le Festival Jean Rouch. Au fil des années précédentes et au gré des affinités des uns et des envies des autres, les Langues’O ont mis en avant le Tibet (2013), la Chine (2014), la Grèce (2015) et l’imaginaire migratoire (2016). Or, parce que depuis la fin de 2015, une ambiance lourde règne en France et plus largement dans le monde occidental alors que la France et l’Europe sont des havres de stabilité et de relatif confort dans un monde tourmenté, nous avons lancé comme en défi, à contre-courant de l’époque et de l’humeur, le bonheur comme thème des Regards comparés 2017. L’idée a séduit, mais la mise sur pied du programme s’est avérée ardue. Une difficulté a résidé dans l’impossible définition du terme – le « bonheur », est-ce la liberté ? L’amour ? La beauté ? Peut-il, doit-il être collectif ou individuel ? S’agit-il d’un bonheur mondain ou plus spirituel ? Doit-il durer ou peut-il être éphémère ? Par ailleurs, il s’est rapidement avéré que le bonheur n’était guère prisé par les documentaristes, en tout cas comme thème dominant, même s’il parcourait bien sûr çà et là de nombreux films. C’est ainsi que « bonheur » est devenu « bonheurs », reflétant les quêtes du bonheur, souvent déçues, rarement exaucées, que présentent les onze documentaires ici sélectionnés. Avec Chronique d’un été (1961) de J. Rouch et E. Morin, suivi du Joli Mai (1962) de C. Marker et P. Lhomme, enquêtes poético-filmiques sur le bonheur à Paris dans les Trente Glorieuses, nous sommes transportés dans un monde apparemment très familier mais en réalité très exotique. On suit aussi une bergère ladakhie et une fabricante japonaise de miso, toutes deux en osmose avec un milieu naturel intransigeant. On s’intéresse à une cinéaste sibérienne préservant son droit au célibat et à un chauffeur de taxi en Inde sur le point de se marier selon la tradition. La liberté de l’individu au sein du collectif est explorée de manière contrastée, dans les Stolby de Sibérie ou au Birobidjan. Les rapports complexes entre famille, travail et bonheur est débattue tant dans l’Inde postcoloniale que dans le pays kurde sous domination turque. Nous clôturons ces Regards Comparés par le portrait de deux adolescentes palestiniennes dont le bonheur à chanter ensemble, au gré des épreuves, est contagieux.
Françoise ROBIN
Professeure de langue et de littérature tibétaines à l’Institut national des langues et civilisations orientales