Pendant 9 jours, 11 hommes ont fait le choix d’être là pour regarder, écouter et débattre autour de dix films documentaires sélectionnés dans la compétition internationale du festival Jean Rouch. Un engagement d’autant plus fort qu’en faisant partie de ce jury, ils perdaient leurs deux heures de « promenades » journalières. Des films pour rompre avec un quotidien, pour se réunir, prendre la parole, échanger, et se souvenir qu’on est des hommes aussi. Pendant les projections régnait le silence, les visages étaient concentrés, et quelques-uns prenaient même scrupuleusement quelques notes sur un cahier. Et nous les intervenants, ceux qui étions présents pour le accompagner dans leurs réflexions, étions tous d’accord sur un point: nous avons rarement regardé des films avec autant d’intensité qu’entre ces 4 murs.
Les 11 hommes ont décidé de remettre leur prix à Armastuse maa de Liivo Niglas « La terre de l’Amour ». Ils ont été séduits et emportés par l’énergie folle de Iouri, ce vieil homme qui défend ses terres, face à une compagnie pétrolière qui s’apprête à les engloutir. Seul, avec sa famille, face au géant cynique et destructeur, Iouri incarnait pour eux, l’espoir et la détermination avec humour et facétie. Ils ont été sensibles à la nature de la relation entre le filmeur et le filmé, qui les a plongés immédiatement dans l’intimité de la vie du personnage, pourtant si éloignée de la leur.
Ils ont été curieux de cette terre que Iouri défend avec tant de passion, mais aussi des croyances, des pratiques ou encore de la cosmogonie des Nénètses. Ils ont été touchés par le lien de Iouri avec ses petits-enfants, par la nécessité et l’urgence de la transmission. Enfin, ils ont mis en valeur la lucidité du personnage face à la caméra, un homme qui se dévoile intimement tout en étant pleinement conscient du pouvoir de l’image et de son importance dans la lutte qu’il mène.
Pour eux, Armastuse maa, est un film qui laisse une trace profonde, celle de cet homme qui a, depuis, disparu, celle d’un peuple et de sa terre, celle de l’espoir malgré tout.
Iouri Vella appelle « Terre de l’amour » une forêt de la toundra sibérienne où ses rennes s’accouplent à l’automne. C’est aussi un territoire de chasse pour les employés de la compagnie pétrolière Lukoil. Iouri lutte, depuis longtemps, pour les faire partir car le bruit des voitures et des tirs dérange les animaux. Que ce soit en écrivant des poèmes ou en filmant les intrus, Iouri défend le territoire nénètse avec passion et détermination.
Yuri Vella calls the « Land of Love » a piece of the forest tundra where each autumn his reindeer mate. The same area is a favoured hunting ground for employees of the Lukoil oil company. For many years already Yuri has tried to chase them away because the noise of cars and rifle shots disturbs the mating of reindeer. Yuri uses several unusual resistance methods to chase the oil workers away, including filming the intruders and writing poems on the subject.
Liivo Niglas, actuellement chercheur au Département d’ethnologie de l’université de Tartu en Estonie, dirige MP Doc, société de production de documentaires anthropologiques indépendante. Il a réalisé des films en Sibérie, en Afrique, en Asie centrale et en Amérique du Nord, parmi lesquels : The Brigade (2000), Yuri Vella’s World (2003), Adventure High (2004), Making Rain (2007), Fish On! (2008), Itelmen Stories (2010), Journey to the Maggot Feeder (2015).