Entre Jean Rouch et le réalisateur et écrivain hollandais, Philo Bregstein, se noua une amitié au long cours et fertile, une amitié en cinéma et créatrice de films. Rouch et sa caméra au cœur de l’Afrique en fut le premier exemple. En 1977, au Niger, face à la caméra de son ami, Jean Rouch racontait, volubile, enthousiaste et avec humour, ses expériences ethnographiques et de tournages. Puis il l’embarquait à la rencontre de sa « bande » de toujours, Damouré, Lam, Tallou, Moussa, et lui faisait découvrir la première génération des cinéastes nigériens qu’il avait formée et influencée. Ce film fut aussi l’occasion pour Rouch de commenter sa pratique du cinéma en action, caméra à l’épaule. La complicité naissante ne pouvait que se poursuivre, quelques années après, à Paris et à Turin, loin des rives du fleuve Niger, Philo Bregstein incarna par deux fois le personnage du philosophe Nietzsche dans Dionysos (1984) et Enigma (1986), films inclassables de Rouch, mais si inventifs. L’aventure ne s’arrêta pas pour autant, bien au contraire, les deux amis mirent en chantier le film Madame l’Eau (1992) à partir d’une idée avancée par Philo. L’histoire se déroulait au Niger et aux Pays-Bas, une histoire de moulin, d’irrigation, de partage de savoirs techniques simples, pour que Damouré, Lam et Tallou, qui jouèrent leur propre rôle, puissent cultiver leurs terres sans se soucier des sécheresses. Ainsi que l’écrivit Philo, « Comme à l’accoutumée, Rouch donna simultanément un contenu poétique à ses images par le biais de ses prises de vues. Dans Madame l’Eau, le moulin se transforme en objet « magique », structure surréaliste à la Tinguely, pompant bravement un minuscule filet d’eau à partir du fleuve Niger, pour le laisser s’écouler dans une rigole asséchée au sein des sables désertiques – expression d’un optimisme contre vents et marées. » Si l’expérience du moulin n’eut pas de suite, les anecdotes sur le tournage dans la joie ne cessèrent jamais. Après la disparition de l’ethnographe-cinéaste, Philo Bregstein exhuma des boîtes du film tourné en 1977 un ensemble de rushes qui, aujourd’hui, constituent la base du documentaire réalisé par Idriss Diabaté, autre ami fidèle de Rouch, qui porte pour titre : Jean Rouch en Afrique, l’homme à la caméra de contact. Bel exemple de la poursuite de l’amitié au-delà de la mort.
Laurent Pellé
Délégué général du festival
Philo Bregstein évoquera ses collaborations et sa complicité avec le « Maître fou », et reviendra sur l’impact et l’influence du cinéaste en Afrique et plus particulièrement au Niger. Séance animée par Laurent Pellé et Catherine Ruelle.
Œuvres présentées
Rouch et sa caméra au cœur de l’Afrique | Jean Rouch and His Camera in the Heart of Africa
À Niamey, Jean Rouch raconte avec passion et humour son parcours et sa pratique de cinéaste, l’amitié et la complicité qu’il partage avec son trio d’acteurs nigériens de toujours, l’histoire et le devenir du cinéma africain. Ce premier portrait de Rouch en Afrique est l’occasion d’une tentative de bilan de son œuvre et de son…
Jean Rouch en Afrique, l’homme à la caméra de contact
On dit souvent de Jean Rouch, cinéaste et ethnographe, qu’il a fait son cinéma avec ceux qu’il filmait et qu’il a « permis » à des Africains de devenir cinéastes. Dans quelle mesure cela est-il vrai ? N’est-ce pas plutôt qu’il a inventé une méthode de vie : « troquer » les histoires de ceux qu’il rencontrait, contre ce…