Laurent Pellé
De retour en 1946 avec une licence d’ethnologie en poche, Jean Rouch reprend ses enquêtes qui le poussent à parcourir le pays songhay en tous sens, depuis Gao jusqu’à Gaya en passant par les montagnes du Hombori et les villages de Wanzerbé ou de Simiri. En voiture, à cheval, en pirogue, il se rend aux cérémonies rituelles de possession du yenendi, des holey hori, ou plus tard, en Gold Coast, aux hauka hori. Il se prend de passion pour Dongo, le génie du tonnerre, parmi les génies Tôru, qui hurle sa colère, qui frappe les hommes, qui punit les coupables, qui amène la pluie. La violence de Dongo le fascine d’autant plus que les Songhay s’adressent à lui en donnant des ordres, en le questionnant, en lui rappelant les promesses non tenues. Dongo l’impitoyable est aussi une divinité avec des faiblesses à l’image des hommes.
Toutefois, les dieux nouveaux, les dieux de la colonisation, les Hauka du Salt Market d’Accra, sont encore plus violents, plus terribles que le génie du tonnerre. Ils se nomment Capal Gardi, Samkatyi (le conducteur de locomotive), Captain Malia, Madame Locotoro, la Magasya (une des reines des prostituées d’Accra), et leurs attitudes, leurs gestes, le protocole de la cérémonie, sont les mêmes que ceux observés auprès des colons européens. Par ces cérémonies surréalistes, les Hauka intègrent les profonds changements des sociétés africaines dans les rituels et les cultes songhay. Le présent s’ajoute au passé. Ainsi, les devises hauka témoignent de ce phénomène. » Maymoto ne couche pas en brousse si le patron est dans le camion « , » L’assidan sef est le soldat des Européens « .
M. l’ethnographe est-il aussi perplexe qu’au premier jour d’enquête ?