Hommage à Luc de Heusch / Tribute to Luc de Heusch

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• vendredi 16 novembre 2012 17h30 à 19h30FRIDAY 16TH November 5.30 to 7.30 pm • 

Maison des cultures du monde

voir vendredi 16 novembre 2012 / go to friday 16th November

 

en présence de with the presence of kathleen de bethune et Marc-Henri PiaulT.

 
Karine de Villers, Luc de Heusch et Marc Piault - Festival Jean Rouch 2008

Karine de Villers, Luc de Heusch, Marc-Henri Piault – Festival Jean Rouch 2008 ©Françoise Foucault

  • En collaboration avec le Fonds Henri Storck, le Centre de l’Audiovisuel à Bruxelles, Simple Production et le Centre Wallonie-Bruxelles, le Festival international Jean Rouch rend hommage à Luc de Heusch, ami de longue date et membre d’honneur du Comité du film ethnographique.
  • Cette séance spéciale sera présentée et animée par Marc Henri Piault, anthropologue et cinéaste, directeur de recherche honoraire au CNRS, avec la participation de Kathleen de Béthune,  secrétaire générale du Centre de l’Audiovisuel à Bruxelles et membre du Fonds Henri Storck.
Les Gestes du repas / Mealtime Gestures
Belgique 1958 | N&B | 23mins
un film de / directed by : Luc de Heusch

scénario / written by : Luc de Heusch, Jacques Delcorde 
image / cinematography : Charles Abel 
son / sound : Paul Leponce 
voix / narrated by : Paul Anrieu
distribution : Fonds Henri Storck, Bruxelles (Belgique) – fhs(at)belgacom.net

Ce film ethnographique nous renvoie l’image de l’homme qui mange, un regard aigu sur la Belgique. Nous passons environ un huitième de nos journées à manger. Luc de Heusch filme ces gestes répétitifs qui semblent anodins et qui révèlent pourtant tant d’une culture particulière et d’une civilisation. Du matin jusqu’au soir, de l’installation du marché jusqu’au dîner, du repas quotidien et rapide au repas de fête, l’ethnologue s’intéresse à toutes les classes sociales. À l’origine, un essai d’ethnographie cinématographique, neutre et distant, destiné à définir les Belges par la manière dont ils mangent. Et de fait, Luc de Heusch filme ses contemporains comme s’ils étaient des Papous.
 
We spend approximately an eighth of our days to eat. Luc de Heusch films these repetitive gestures which seem banal and which reveal so much particulariry things about culture and civilization in Belgium.

 

Fête chez les Hamba / Hamba Celebration
République démocratique du Congo | 1955 | Nouvelle version 1998 | N&B | 55mins
un film de / directed by: Luc de Heusch

montage / editing : Emmanuelle Dupuis
voix / narrated by : Jean-François Bastin & Marc Moulin restauration des enregistrements originaux / original recordings restoration : Jean-Claude Boulanger sonorisation / soundtrack : Jean-Claude Boulanger
 
distribution : Fonds Henri Storck, Bruxelles (Belgique) – fhs(at)belgacom.net, Simple Production, Bruxelles (Belgique) – simple.production(at)skynet.be
 
En 1954, au cours d’une mission ethnographique au Congo Belge, Luc de Heusch, muni d’une petite caméra Bell & Howell filme la vie quotidienne et cérémonielle d’un village de la forêt congolaise dans l’ancienne province du Kasaï. Sa première version, Fête chez les Hamba fut présenté en 1956 au Musée de l’Homme à Paris, lors du Premier Forum International du Film Ethnographique, organisé à l’initiative de Jean Rouch. En 1997, Luc de Heusch procéda à la restauration de l’image et du son grâce à l’intervention de la RTBF, de la Cinémathèque Royale de Belgique et de la FOBRA. Ce nouveau montage est la version définitive d’un témoignage important sur la vie sociale traditionnelle dans une communauté africaine, cinq ans à peine avant la décolonisation.
 
In 1954, during an ethnographic mission in Belgian Congo, Luc de Heusch, fitted with a small Bell & Howell camera and with one of the first magnetic ring sound recorder, filmed the daily ceremonial life of a village of a Congolese forest in the former province of Kasaï. The movie’s first version, « Fête chez les Hamba » has been showed in 1956 at the ‘Musée de l’Homme’ in Paris during the First International Forum of the Ethnographic Film organized at Jean Rouch’s initiative. In 1997, Luc de Heusch went about the image and the sound restoration thanks to the help of the RTBF, the Cinémathèque Royale de Belgique and the FOBRA. This new editing is the definitive version of one of the very rare evidences of the traditional social life in an African community during the Belgian colonization.

Luc de Heusch : vers une interrogation permanente

 
Luc de Heusch vient de disparaître : c’était l’un des promoteurs de l’anthropologie audiovisuelle avec notamment Jean Rouch. Cependant – et malgré l’importance de sa contribution dans ces domaines – le cinéma et l’ethnologie n’avaient pas été ses seules activités, ses seules passions. Il a été en effet l’un de ceux qui ont tenté de couvrir l’écran large et devenu difficile à assumer d’une culture véritablement multidimensionnelle, échappant aux ancrages particuliers des spécialistes s’imposant aujourd’hui de plus en plus nécessairement à nous.
 
Ecrivain et cinéaste, la passion de Luc de Heusch pour l’art ne s’est jamais démentie. Il vécut notamment, de 1949 à 1951, dans un phalanstère d’artistes appelé Les Ateliers du Marais aux côtés du peintre Alechinsky qui l’entraîna, sous le pseudonyme de Luc Zangrie, dans le mouvement de contestation et d’innovation intellectuelle et artistique COBRA. Il consacra divers articles et films à ses amis Alechinsky, Dotremont et Reinhoud, ainsi qu’à Magritte et Ensor.
 
Il a néanmoins assumé de nombreuses responsabilités dans les institutions qui ont contribué au développement du cinéma ethnographique et de ses prolongements. Il a notamment été Secrétaire général adjoint du Comité International du Film ethnographique et Sociologique (CIFES) auquel appartenait également Edgar Morin qui fit la préface de son étude sur le cinéma et les sciences sociales écrite à la demande de l’UNESCO ; il a enseigné l’anthropologie sociale et culturelle à l’Université Libre de Bruxelles de 1955 à 1992 et depuis cette dernière date il était Professeur émérite. On lui doit de nombreux articles et livres consacrés à cette discipline, dont cinq ouvrages publiés par Gallimard. 
 
Docteur honoris causa de l’Université des sciences humaines de Strasbourg, il fut, à deux reprises (1966-68 et 1973-75), Directeur d’Etudes associé à la 5e section (sciences religieuses) de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Paris). Il y dirigea aussi le Laboratoire Systèmes de pensées en Afrique noire, associé au CNRS. Il fut Président du Conseil scientifique du Musée Royal d’Afrique Centrale (Tervuren) de 1987 à 1991. Il était membre de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux Arts de Belgique
 
Nous rappellerons ici principalement ses films ethnographiques, historiques ou ethno-fictionnels réalisés aussi bien en Afrique qu’en Belgique.
 
En Afrique il tournera bien évidemment dans les pays qui avait été sous domination belge, Rwanda, tableaux d’une féodalité pastorale (1955), Fête chez les Hamba (1956, nouvelle version en 1998), Une République devenue folle : Rwanda 1884-94 (1996), mais aussi au Mali Sur les traces du renard pâle (1984) où il retrouve en particulier l’ethnologue Germaine Dieterlen.
 
On lui doit également de véritables portraits sociologiques de la Belgique qui procèdent de ce que l’on peut considérer comme d’une espèce d’ethno-fiction : Gestes du repas (1958), Les amis du plaisir (1962), Les Amis du plaisir trente ans après (1995).
 
Il était ainsi le précurseur d’un cinéma où réel et fiction se combinent et se complètent pour mieux interroger l’attention du spectateur. Il évoqua l’histoire chaotique de son pays déchiré par la querelle des Flamands et des Wallons dans Quand j’étais Belge (1999). Il réalisa aussi un film de long métrage : Jeudi on chantera comme dimanche (1967), tourné dans la banlieue industrielle de Liège, dont les ouvriers étaient prisonniers à cette époque de l’économie dite de consommation .
 
Luc de Heusch partageait avec Jean Rouch une grande admiration à l’égard de Flaherty dont le film Nanook of the North (1922) aurait été selon eux « le premier film ethnographique du monde ». L’un et l’autre prônaient également la pratique d’une caméra incitative, élément décisif dans la constitution d’une situation anthropologique, établissement et poursuite d’une conversation où l’observateur éclaire ses objectifs en se mettant en position attentive d’écoute. C’était proposer de mettre le réalisateur lui-même, par l’échange des regards, dans un processus partagé de connaissance, chemin qui annonce très vite l’expérience du filmant-filmé, de l’observateur-observé.
 
Dans son film sur le Rwanda, de 1955 Luc de Heusch mettait en image une thèse d’histoire précoloniale réalisée par son ami ethnologue Jacques Maquet. Il s’agissait initialement d’une tentative pour restituer des comportements mais aussi des façons de penser les rapports entre les personnes, entre les sexes, une expérience destinée à éprouver les hiérarchies, la richesse ou la connaissance.
 
D’abord initiative ethnologique, la procédure et les conditions mêmes du tournage vont entraîner à montrer les images en cour de tournage aux différents groupes concernés par le film. A travers cette procédure les « acteurs » gagneront progressivement une certaine autonomie d’entreprise, point de départ de ce qui pourrait par la suite devenir une véritable anthropologie partagée. La rupture était déjà faite d’une séparation radicale entre réalisateur et acteurs : les éléments d’une collaboration à une entreprise commune se mettaient en place.
 
La valeur de témoignage de ce film est évidente : il tente une compréhension interne de l’articulation des groupes sociaux ainsi que du vécu de systèmes de valeurs légitimant l’ordre social. Il pose la question cruciale des modifications apportées par les occupations coloniales et les politiques post-indépendances accentuant et déviant des oppositions relatives pour maintenir des dominations extérieures dont les conséquences vont conduire aux massacres génocidaires de 1963 et surtout à ceux de 1994-95. Le lien s’opère entre les différentes phases d’une histoire qui devient alors celle des peuples concernés et non pas celle de ceux qui ont tenté de les conquérir et de les dominer.
 
A ce stade Luc de Heusch peut écrire : « La participation effective et consciente des gens à la réalisation d’un film est souhaitable et parfaitement conforme aux techniques traditionnelles de l’observation ethnographique » (LdH, : Cinéma et Sciences sociales, Reports and Papers in the Social Sciences, 16, Paris, UNESCO, 1962, : 62). Et il évoquait clairement à ce propos la réalisation de son film sur le Rwanda. Il s’agissait « … de restituer aussi fidèlement que possible une société différent de la nôtre, une autre façon de considérer les femmes, de situer le prestige, la richesse, etc. Il me parut impossible de rendre compte des données élémentaires de la vie sociale… sans obtenir la participation effective des gens que l’on film à l’action. » (LdH, cité par Gilles Marsolais, L’Aventure du cinéma direct, Paris, Seghers, 1974, : 233).
 
Cette position, affirmée dès 1962, ne sera pas admise facilement par la plupart des ethnocinéastes de l’époque qui revendiquaient encore une vision neutre sinon objective. Le discours du spécialiste prétendait identifier sans ambiguïté, prétendait-on, les images se déroulant sous les yeux des spectateurs installés devant l’écran qui aurait été une fenêtre ouverte sur les « réalités » du monde.
 
Ce type d’attitude confortera pour longtemps des opinions contradictoires et méprisantes à l’égard des films anthropologiques. D’un côté les « documentaristes » vont accuser les ethnologues de prétendre tout savoir et d’exprimer « la vérité de ce qui est » du haut d’un commentaire qui expliquerait tout. De l’autre, les anthropologues purs et durs vont soupçonner les cinéastes de tous les trafics ou de toutes les naïvetés, prenant des apparences pour des réalités profondes et complexes que seules des approches théoriques de maîtres penseurs devraient faire comprendre.
 
Certainement Luc de Heusch a contribué de façon décisive à rompre ces oppositions pour avancer vers ce qui serait une interrogation constante à partir des modalités diverses de la représentation. De la description à l’interrogation, de la rencontre au dialogue, Luc de Heusch certainement a parcouru et nous a montré certains des chemins que nous tentons encore aujourd’hui de reconnaître.
 

Ce que Luc de Heusch avait commencé à nous proposer est une interrogation nécessaire et persistante aujourd’hui  sur ce que transmet l’image filmique : ce n’est pas un simple support d’analyse ou bien une sorte de miroir grossissant permettant à un observateur averti de saisir les ressorts de situations et de rapports sociaux dans leur vérité intime, ultime. Le savoir produit est une interprétation plausible des données de l’expérience dont la mise en place contribue à caractériser provisoirement les formes comme les significations. Jean Epstein découvrait, il y a plus de soixante ans déjà, que le cinéma était un dispositif expérimental qui ne faisait qu’inventer une image plausible de l’univers. Le savoir produit est donc bien toujours une interprétation plausible des données d’une expérience elle-même constamment soumise à l’appréciation potentiellement permanente des spectateurs et à la réinterprétation critique de ceux qui en ont été les protagonistes.

Sans doute Luc de Heusch aura-t-il contribué de manière essentielle à initier une approche anthropologique fondée sur la nécessité de l’interrogation plus que sur la certitude de la réponse.

Marc H Piault / Septembre 2012


Filmographie de Luc de Heusch
Perséphone | 1951 | film expérimental | N/B.
Fête chez les Hamba | 1955 | nouvelle version 1998 | documentaire | N/B.
Rwanda : tableaux d’une féodalité pastorale | 1955 | documentaire.
Michel de Ghelderode (co-réalisateur Jean Raine) | 1957 | documentaire | N/B.
Les Gestes du repas | 1958 | film ethnographique | N/B.
Magritte ou la leçon de choses | 1960 | documentaire.
Les Amis du plaisir | 1961 | Ethno-fiction | N/B.
Jeudi on chantera comme dimanche | 1967 | Fiction | N/B.
Libre examen | 1968 | Documentaire | N/B.
Alechinsky d’après nature | 1970 | Documentaire.
Dotremont-les-logogrammes | 1972 | Documentaire.
Sur les traces du renard pâle (recherches en pays Dogon 1931-1983) | 1984 | documentaire.
Sarah et Gaëlle ou les aventures du chasseur de lapins bruns | 1985 | Film pour enfants.
« Je suis fou, je suis sot, je suis méchant », Autoportrait de James Ensor | 1990 | Documentaire.
Les Amis du plaisir, 30 ans | 1995 | Ethno-fiction.
Une République devenue folle ( Rwanda 1894-1994) | 1996 | documentaire.
Ostende 1930 | 2004 | Images d’Henri Storck | N/B.
Carnet d’images, Henri Storck | 2006 | Images d’Henri Storck | N/B.
 
 
 

Dans le cadre du Mois du Documentaire 2012, le lundi 26 novembre, le Centre Wallonie-Bruxelles présente en hommage à Luc de Heusch deux séances qui témoignent de la diversité de son talent.
 
• 18h30 : en présence de Karine de Villers et de Pierre de Heusch •
Luc de Heusch, une pensée sauvage de Karine de Villers  (2007 | vidéo | 50 min.)
suivi de Les Amis du plaisir de Luc de Heusch (1961 | 35mm | 27 min | N/B)
  
• 20h30 : trois films de Luc de Heusch •
Alechinsky d’après nature de Luc de Heusch (1970 | 35mm | 20 min.)
Dotremont-les-logogrammes de Luc de Heusch (1972 | 16mm | 14 min.)
Sur les traces du renard pâle (recherches en pays Dogon 1931-1983) de Luc de Heusch (1984 | 16mm | 48 min.)
 
Centre Wallonie-Bruxelles – 46, rue Quincampoix – 75004 Paris
Entrée libre – réservations : 01 53 01 96 96 – cinema@cwb.fr – http://www.cwb.fr/